« Cherlo Cat et son fidèle Patson ont enfin résolu l’énigme de la chromdiopside des Champs Élysées !» C’est ce que vient d’annoncer une source proche de l’Autorité. Les parisiens vont pouvoir respirer de nouveau le bon air sain de la célèbre avenue. Les risques de contamination par le chrome sont maîtrisés, et pour le prouver, Cat et Patson les ont eux-mêmes descendus à pieds, les Champs Élysées !
Il fallait bien au moins ça, depuis trois ans que cela durait ! Une éternité, en effet, qu’on n’avait vu promeneurs sur les Champs. Il faut dire qu’avec le covicide, les pesticides, les wokicides, les mitoucides, le dioxyde de carbone et la dissolution de l’Assemblée Nationale, le diopside était bien la goutte de trop. Celle qui avait fait déborder le vase.
Tout avait commencé lors de la manif des gilets verts du 7 brumaire an II du calendrier post corona virus. Selon le préfet, ils étaient au moins cent à défier l’Autorité ce jour-là, et s’il n’en resta qu’un, c’était bien grâce à lui. Mais hélas, celui-là s’échappa. Au dire de témoins occulaires dignes de foi, il se fondit littéralement dans le pavé quand les drones qui s’abattaient sur lui entrèrent en collision avec un cortège officiel égaré. Du cortège on sait peu de choses si ce n’est qu’il était russe, mais d’aucuns prétendent qu’il n’était pas là par hasard…
Quoiqu’il en soit, nos célèbres détectives auront su, une fois encore, lever le voile sur tous ces mystères. Notre célèbre éditorialiste, Benjamin Duplamel, les a interviewés à leur sortie du palais présidentiel où ils viennent d’être décorés. L’intégralité de son reportage, dont voici un extrait, est disponible, pour les abonnés, sur le site de “Radio Timbale, la radio qui résonne”, et en podcast avec l’application mobile.
— Monsieur Cat, le président vient juste de vous décerner la Grande Médaille de la République. Pouvez-vous nous dire à quel titre vous avez obtenu cet insigne honneur ?
— Bien sûr, bien sûr… Voyez-vous, Patson et moi-même avons élucidé l’étrange affaire du chromdiopside qui, comme chacun sait, pourrissait la vie des parisiens depuis trois ans !
— Oui, nous avons appris cela par les fuites officieuses proches du canal officiel, mais comment vous y êtes-vous pris ?
— Eh bien, en vérité c’était une affaire bien compliquée et il nous a d’abord fallu développer une Intelligence Artificielle d’un genre tout à fait innovant : la STASI (Super Transactionnal Artificial & Strategic Intelligence), dont nous venons d’ailleurs de céder les droits à la puissance publique.
— Peut-on connaître le montant de la transaction ?
— Eh bien sûr ! Euh, attendez. Qu’en pensez-vous Patson ? Peut-on leur dire…
— Secret défense chef, secret défense.
— Ah, comme vous voyez Monsieur Duplamel, “motus et bouche cousue” sur le sujet. Question suivante ?
— Secret défense ? C’était donc une attaque terroriste, cette affaire ?
— “Terroriste” ? Évidemment que c’était terroriste ! D’ailleurs toute attaque contre la société n’est-elle pas terroriste ? Tout est terroriste aujourd’hui…
— Bon, enfin, à part cette odeur d’œuf pourri qui empestait l’avenue jusqu’au fond du Fouquet’s, il n’y a quand même pas eu mort d’homme, si ?
— D’homme, non ; mais savez-vous combien de teckels, sans parler des bassets artésiens normands et des bouledogues français, combien y ont laissé leur flair ? Avez-vous idée du nombre de victimes qu’a fait ce gaz nauséabond parmi la gent canine ? Or, comme vous n’êtes pas sans savoir, l’alinéa 27 ter de la loi 1984 visant à protéger les espèces menacées procède de l’annexe 3 du sous-titre VI de la soixante-dix septième section du cadre général du quatre-mille-huit-cent-cinquième règlement européen de l’anti-terrorisme. C’était donc bien terroriste.
— En effet, en effet. Donc, la STASI, parlez-nous de la STASI Monsieur Cat. Comment vous y êtes-vous pris ? On ne vous savait pas informaticien…
— Informaticien ? Pour quoi faire ?
— Eh bien mais, vous m’avez déclaré avoir développé une IA d’un genre nouveau…
— Et alors ? Pas besoin d’être informaticien pour cela. Nous avons mobilisé l’IA.
— Comment ? Vous voulez dire qu’une IA a créé votre IA ?
— I-a, i-a, iiya, ya ya…Vous avez tout compris cher Duplamel. Mais vous ne mettez pas ça dans le reportage, hein ? C’est du off…
— Euh, c’est qu’on est en direct…
— M… (NDLR : lire “Zut !”)
— Mais alors, cette cession à la puissance publique… Vous avez cédé quoi, au juste ?
— Patson…
— Oui chef ?
— On a vendu quoi ?
— Ben les droits, pardi ! On a d’abord hésité… Zyva, zyva pas… Vous ne vouliez pas au début. C’est quand l’autre a griffonné le chiffre sur le mémo que vous avez craqué…
— Non, non, le mémo c’était pour ma nièce, à Rolland Garros ; là on parle de la STASI…
— Vous êtes sûr ? Il me semblait… Bon, however, c’est quand même les droits qu’on a vendus. Vous voyez, Duplamel, ça marche comme ça : la jurisprudence est claire : les droits sur l’œuvre produite par une IA appartiennent à l’usager quand l’usager est à l’origine de l’idée à la base de l’idée de l’usage de l’œuvre. C’est l’arrêt 6798 de la Cour suprême du Lichtenstein qui fait autorité en la matière. Il en résulte que l’inspecteur Cat et moi-même, étant éligibles à cette qualification pour la STASI, nous étions de facto les propriétaires légitimes des droits. Vous comprenez ?
— Hum… L’idée était donc d’apporter solution au fléau ?
— Non, ça c’est l’idée d’usage. Nous, on se situe en amont, dans l’idée d’idée d’usage, vous voyez ? Bon, c’est un peu technique. On n’a pas fait Sciences Pot pour rien, voyez-vous. Il faut avoir l’intelligence de la complexité pour bien comprendre : la solution d’un problème n’existe que si le problème existe. Or, tout problème n’est qu’une mise en perspective sensible d’un phénomène perceptible également et simultanément par plusieurs acteurs, que l’on qualifie alors de récepteurs problématiques. Notez bien : “également”, c’est-à-dire dans une stricte égalité, et “plusieurs”, c’est-à-dire plus que deux. Le “chromdiopside des Champs Élysées” ne remplissant que le second de ces deux critères, ce n’était donc pas un problème !
— Cependant…
— Il nous fallait donc commencer par créer le problème, et c’est là qu’est le trait de génie de l’inspecteur Cat ! Là est l’idée à la base de l’idée, vous suivez ? Si le besoin de produire une IA pour régler un problème inexistant pouvait naître, alors la démonstration implicite de l’existence du problème était acquise ! Ce postulat inattaquable de l’inspecteur nous a conduit où nous en sommes : le problème est résolu, et nous sommes décorés.
— Bien, mais comment avez-vous fait ? Cette mousse gluante et verdâtre de laquelle émanait cette vapeur pestilentielle, où est-elle passée ? Il a bien fallu la réécouler quelque part, non ?
— Ah, là, c’est à mon chef qu’il vous faut poser la question.
— Inspecteur Cat ?
— Oui ?
— La mousse, inspecteur, la mousse : où est-elle maintenant ?
— Oh, la mousse ? Eh bien, à dire vrai, la mousse est toujours là. Ce qui a changé, c’est qu’on ne la voit plus et qu’on ne la sent plus. Un sorte de tour de passe-passe, voyez-vous.
— Vous m’intriguez, inspecteur…
— Laissez-moi vous expliquer. Avez-vous jamais entendu parler de la bande des Gorgebleues à miroir ? Ils sévissaient justement sur les Champs dans les années 20…
— Euh, ma foi non…
— C’est normal, tout a été effacé. Et vous êtes trop jeune, aussi. On dit qu’il s’agissait d’une famille, une sorte de clan, originaire d’une petite île au large de la Croatie en mer Adriatique : Murter.
— Des migrants ?
— Vous ne croyez pas si bien dire ! Ils tenaient leur nom d’une espèce de passereaux migrateurs qui peuplent encore les zones humides du nord de l’Europe, notamment les Pays-Bas, et qui migrent vers des contrées plus au sud pour l’hiver. Mais ce n’est pas ce qui les rendit célèbres. Non. Ce qui les rendit célèbres, c’est l’utilisation qu’ils faisaient des miroirs comme de véritables coupe-gorges ! Car c’est ce qu’ils faisaient, égorger les gens. Et les miroirs y prenaient leur part, comme vous l’allez voir.
Nos gorgebleues procédaient ainsi : une fois leur future victime repérée, l’un d’eux l’abordait pour lui proposer montres et autres bijoux, fruits de leurs larcins, à des prix défiant toute concurrence. Dans l’assortiment se trouvait toujours un miroir. Le bonimenteur, agile des mains à l’égal de la langue, s’arrangeait alors pour qu’en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, le miroir se trouvât dans la main de la victime et face à son visage. Le plus souvent il suffisait de mentionner les pouvoirs magiques de l’objet – auxquels évidemment personne ne croyait –, et de les assortir d’un conseil à la prudence, vu sa fragilité et le risque encouru des sept années de malheur en cas de bris – auxquelles tout le monde croyait.
Durant les quelques secondes que durait ce stratagème, compères et commères s’étant insensiblement groupés autour du badaud, ils finissaient par le presser tant et si bien que le soulager de son portefeuille devenait un service qu’on lui rendait pour décongestionner son muscle cardiaque ! Lui venait-il la mauvaise idée de résister ? On l’égorgeait.
— Ah, les barbares !
— En effet…
— Mais… Cher Monsieur Cat… Le rapport de cette affaire à la nôtre me semble…
— Comment ? Vous ne saisissez pas ? Le miroir ! Le tour de passe-passe…
— Euh… Je dois avouer que…
— Bon, je reprends. Avez-vous jamais entendu parler des Cadets de Gasco…
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