L’épopée se poursuivait en pleins vents tourbillonnant et on se chopait de l’eczéma au coin des yeux à cause du pollan méricarpe qui n’en finissait pas de se détacher des érables immenses de la scierie. Le terrain s’étendait sans fin, dissimulé par la brume opaque des matins las. On se levait sans appétit, sans projet autre pour la journée que le triste labeur sans cesse renouvelé: extraire des troncs, les tronquer, parfois les évider afin de récupérer la sciure, stocker au fond des réserves. Parfois, rarement, on en replantait. Ces jours-là semblaient moins moroses et quelquefois le travail prenait des airs de fêtes, on officialisait la mise en terre en buvant quelques bières au frais du patron. Mais ça ne durait jamais bien longtemps et il fallait retourner aux basses œuvres, comme la récolte de césine fixatrice. La substance gluante et sucrée nous servait à nos heures perdues à fixer les tronçons irrécupérables en créant d’étranges statuettes dont seuls nos cœurs perdus pouvaient apprécier la beauté. Une beauté un peu difforme, abrupte, sans élégance et rêche sous nos doigts. C’était une curiosité pour les visiteurs venus de loin. Ça faisait notre fierté et ça compensait un peu le balourdage contractuel imposé par la crise financière. Cette époque-là était sombre mais on évitait de s’en faire, on savait que ça n’aurait qu’un temps, que les affaires repartiraient de plus belle avec l’été et ses touristes. Alors on se reposait sur nos lauriers, tout en fantasmant ce que pourraient être nos vies si on quittait tout et prenait le premier train destination n’importe où.
Le secret de Clotilde
Il y a des souvenirs qui marquent plus que d'autre. Pourquoi celui-là me revient-il plus qu'un autre 30 ans après les faits ? Disons que le hasard d'une rencontre improbable à un concert est venu aiguillonner ma mémoire. C'était un dimanche de juin dans la maison du...