C’est dans l’ombre trois fois millénaire de Xi’an qu’elle le rencontra. Il écrivait ; elle, peignait. Ce qui les rapprocha d’abord fut comme un élan vers la beauté. C’est en tout cas ce qu’ils crurent. Ils se plurent. S’accouplèrent.
À l’époque, la ville n’était pas encore la mégalopole hérissée de gratte-ciels que l’on connaît. Elle survivait de sa rente impériale. Se suffisait. Se protégeait. Du moins le croyait-elle. Quelques pulsions erratiques commençaient bien de faire trembler ses remparts, mais le cœur tenait.
Elle, ne pouvait finir ses tableaux. Lui, complétait ses romans. Les images, cependant, restaient toujours imparfaites. Ouvertes. Imprécises. Sans frontières. Il aimait à les laisser ainsi baigner dans un halo d’incertitude, sans fausse plénitude, quand, elle, se torturait de l’incomplétude de ses œuvres.
Ils n’étaient pas semblables. Ni vraiment différents. Ni d’ailleurs complémentaires. C’est plutôt qu’ils cheminaient tous deux, sans le savoir, sur la même chimère de la finitude des choses. Du temps. De l’histoire. Ils ne pouvaient être, se penser, qu’en contingence. Le dieu qui les habitait et guidait leur main peinait à la tâche d’atteindre leur conscience. Faute de pouvoir se libérer de tout, la fuite universelle et incessante du réel leur échappait.
Par l’amour qu’ils se portèrent, ils comblèrent, pour quelque temps, le vide angoissant de leur cécité. Être deux, c’est déjà mieux quand on veut se voir. Se percevoir. Mais être deux c’est aussi renoncer à beaucoup de soi-même. S’aliéner. S’effacer.
Le moyen d’échapper au dilemme, ils le trouvèrent. Ils l’inventèrent. Le créèrent. C’était une petite maison blanche. Isolée. Perdue. Elle souffretait de vie au pied des vieilles murailles sans qu’on put dire qu’elle fût abandonnée. Reniée. Maudite. Condamnée à l’errance dans un futur qui s’écrirait sans elle, elle vit dans le couple d’artistes sa survivance. Son éternité.
Elle les séduisit. Les envoûta. Eux s’imaginèrent l’avoir choisie, et tentèrent de l’habiter. Ils lui donnèrent un jardin qu’ils emplirent de fleurs. Une cuisine, de saveurs. Un grenier, de souvenirs. Et l’escalier, d’espérance. De souffrance. De mourance. De mourance, oui, car l’espérance toujours se nourrit de la mort de l’instant. Du présent. De la vie.
Quand la maison fut presque complète, quand elle commença de s’animer, ils comprirent. Eux-seuls pouvaient la voir, la toucher, la sentir vibrer. La petite maison blanche n’avait d’autre existence que celle qu’ils lui avaient prêté. Ils l’avaient imaginée. Romancée. Peinte.
Alors, ils commencèrent de la détruire…
Note de l’auteur : dans l’exercice proposé, j’ai choisi Florence Esté (peintre), Claude Ollier (écrivain) et la ville impériale de Xi’an (Chine). Ensuite, j’ai laissé glisser ma plume sans trop me demander où j’allais…
Empreinte numérique de copyright : 33b58731de88d07bbb6fad638e1bffd1794dffc4ee11eb8c76ccc664d25bef4b